Le boa (à lire de bas en haut)

Publié le 27 Novembre 2017

12.

"- Hé, ho, réveille-toi !"

-Quoi ?

- Il est 19h tu fais des heures sup ou tu espères une promotion espèce de fayot ?! On va se boire une bière chez Léonie, tu viens ? Heureusement que le boss était en réunion cet après-midi, sinon t'étais convoqué direct !

- Pfiou ! Si tu savais, je dors mal en ce moment, je sais pas pourquoi, je prends des tonnes de compléments pour tenir le coup, mais à 6h j'ai une envie irrépressible de me rendormir et toute la journée je me traine comme une savate...

- Bon viens, on en discutera autour d'une mousse.

 

 

 

11.

Ce fut mon premier et dernier repas pantagruélique, je réussissais à me hisser sur le canapé pour digérer, peut-être que j'aurais pu rester un an allongée ici, le temps que je digère et que je me repose, vous savez, ça fatigue énormément les grosses proies.

Et puis, je l'ai vu rentrer, lui, avec son attaché case et sa tête d'abruti, il m'a jeté un regard noir, il a crié, ouvert les fenêtres car ça sentait le brûlé, le chat était étendu à cause des fumées, dommage, je l'aimais bien, on jouait parfois ensemble et jamais je n'ai cherché à le gober; je suis allergique à la viande féline, mais surtout on a été élevés ensemble, et il était comme mon petit frère...

Alors que je somnolais,le ventre lourd, j'ai vu l'autre revenir avec un couteau à pain, je n'avais plus la force de me mouvoir, je pensais qu'il allait battre en retraite, sa corpulence maigrichonne et son manque de courage ne m'avaient jamais séduite, au contraire de ma maitresse.

Et puis, ce fut un éclair dans mon ventre, je n'ai pas eu mal, mais j'ai vu tous mes boyaux à l'air, je les ai admirés, une première et dernière fois, puis je me suis dit qu'on se retrouverait pour un autre combat, et même s'il gagnait aujourd'hui, je ne m'avouais pas vaincue. Ce n'était qu'un au-revoir.

 

Carlotta en nage, arriva, avec sa valise sur le palier, elle découvrit l'appartement sens dessus dessous...

"Mais que s'est-il passé ici" ? hurla t-elle .

"- Rien mon amour, enfin pas grand chose, viens t'asseoir, je te fais un thé et je te raconterai tout." J'étais couvert de sueur et cachait mes tremblements de lèvres.

10.

L'interphone sonna, "Conchita" alla ouvrir.

Une amie à elle débarqua avec un sac de linge à raccommoder. Et ben ! Elle serait contente la patronne de savoir que son employée effectuait d'autres travaux que ceux pour lesquels on la payait !

Derrière elle, un petit chiot, pas n'importe lequel, un yorkshire tout blanc, avec toutes ses dents et son pedigree de dégénéré. Hummmm!

J'ai faim,très très faim ! Je deviens mauvaise, très très mauvaise !

Elles filèrent en cuisine, avaler des petits gâteaux qui laisseraient leurs empreintes indélébiles sur leurs gros derrières, tant mieux ! Qu'elles se goinfrassent encore !

Le chiot jappait ,reniflait tout,et partout,tandis que l'autre n'arrêtait pas d'aboyer sur le balcon, c'était la cacophonie la plus totale! Sans compter la télé qui tournait en boucle, on en était d'ailleurs au moment le plus captivant, celui où John allait peut-être se remarier avec la maitresse de son cousin qui n'était autre que son patron et son ex beau-frère....Et la grosse qui ratait ça ! Ha ha! J'aurais pu les raconter par cœur ces épisodes imbéciles, car oui, depuis mon terrarium, je voyais la TV, pas celle-ci, mais la petite de la chambre d'amis, où mon logis avait été installé provisoirement, depuis 7 ans....

Le chiot s'aventura malencontreusement derrière le canapé, je n'en fis qu'une bouchée,l'air de rien, cet idiot n'avait rien vu venir , ce fut presque trop facile. Il avait un goût délicieux de veau de lait, fondant et tendre .

Je retournai dans mon terrarium lentement, afin de ne pas éveiller les soupçons.

Puis , j'entendis des éclats de voix angoissés, Maria hurlait que son petit bichon avait disparu !

" Mais c'est impossible" répondit Carmen.

Et elles se mirent à chercher dans toutes les pièces, je me cachais derrière mon arbre mort, pour dissimuler la bosse de mon ventre; et prit un air complètement absent. Elles regardaient partout : rien ici, rien dans la salle de bains, ni la chambre, ni la salle à manger qui était fouillée de fond en comble, y compris dans les paniers de linge. On ouvrit la baie vitrée du balcon et on se distai qu'il y avait un véritable problème, le chihuahua n'arrêtait pas d'aboyer en direction de ma pièce, mais les femmes continuaient leurs recherches avec frénésie. Elles appelèrent les maris à la rescousse, évidemment, ils avaient autre chose à faire et ne comprirent rien à leurs récits entrecoupés de jérémiades...Ils se dirent que tout allait s'arranger...ah les lâches !

Ah ça oui, ça allait s'arranger !

Après mon mini encas, j'ai pensé qu'il était temps de passer au plat de résistance...

Le remue-ménage continuait, Maria décida d'aller dans les escaliers au cas improbable où elle aurait mal refermé la porte d'entrée...

Parfait, parfait...

C'est là que la grosse Carmen a commis une erreur.

Alors qu'elle se penchait douloureusement sous tous les meubles de l'appartement, et même derrière la canapé d'invités à côté de mon gîte, je me dis : "Kéra c'est le moment !"

Aussi rapide que le guépard de la savane, je me suis hissée sur le canapé et depuis le dossier, tapie en embuscade, plus vive que l'éclair, je suis tombée sur elle lorsqu'elle a relevé la tête, et mon bon quintal ne lui a laissé aucune chance. Plus elle se débattait, plus je serrais, on entendait tous les os des côtes craquer, sa tête était cramoisie, elle résistait, et se débattait, mais je ne lâchais pas prise. Tous mes anneaux se mouvaient dans une étreinte puissante et mortelle. Quand je sentis que je n'avais plus qu'un poids mort dans mes anneaux, je passais aux choses sérieuses.

L'avaler ne fut pas une mince affaire, cela me prit plus de 4 longues heures, et j'avais du mal à digérer ses vêtements de mauvaise qualité .Du synthétique qui m'irritait la gorge, et surtout qui m'échauffait inutilement les entrailles. J'ouvris démesurément mes mâchoires qui se désolidarisaient pour y faire rentrer cette exceptionnelle proie. On aurait dit que j'avalais un camion, ça gênait même ma respiration, allais-je moi aussi mourir de ma gloutonnerie, punie par la justice divine ?

Sa copine pendant ce temps, tambourinait à la porte et personne n'ouvrait...je continuais ma besogne consciencieusement.

 

 

9.

J'entendis un chien aboyer, je glissais avec grâce et vivacité du sofa, et me réfugiais dans mon terrarium, l'air innocent et faussement endormi.

Cet idiot de chihuahua n'arrêtait pas d'aboyer dans les pires aigüs, je mourrai d'envie de le faire taire.....La grosse passa la tête par la porte et la referma, tout semblait calme. Bien.

Je sentais des effluves de pâtisserie, qui me laissaient indifférente, j'aurais préféré un cœur encore chaud et bien saignant !

La souris surgelée de la semaine dernière me donnait des renvois, voilà ce que c'est que d'être obligée d'ingurgiter de la nourriture industrielle, des muridés gonflés aux hormones et génétiquement modifiés, des dégénérés aux yeux rouges incapables de courir histoire que je m'ouvrisse un peu l'appétit...

Ah! Mais je sentais un courant d'air inhabituel...je devais en avoir le cœur net.

Je me faufilais hors de ma prison de verre, je me hissais jusqu'à la poignée de porte, et me laissais retomber sur elle de tout mon poids.Clac, celle-ci s'ouvrit facilement.

Je passai ma tête, le champ était libre ! Je me glissais d'abord dans la pièce la plus proche, la salle de bains, humide et chaude comme j'aimais, si ce n'était les parfums de la propriétaire, l'endroit était parfait pour y rester suspendue à l'accroche serviettes; les yeux mi-clos à rêvasser, ou même y prendre un bain, mais sans ces horribles produits chimiques moussants,

qui risquaient de me dessécher les écailles, ternir ma belle couleur bronze, et me donner des allergies en prime.

Oui, je suis une pythone, de Seba même, mais personne ne le savait, à part ma patronne, tout le monde me traitait de vulgaire boa, parce qu'ils n'y connaissent rien !

Et puis j'avais aussi mes petites manies de fille, que voulez-vous ? Élevée en cage depuis ma naissance, je me demandais si j'aurais pu supporter la vie sauvage et son manque de confort?

Whoua whoua whoua !

Ah le roquet était revenu, il avait flairé ma présence, vite, je me coulais dans la pile de serviettes de bain en passant derrière le meuble, enfin, quand on mesurait quand même près de 5 mètres, je vous assure que malgré ma souplesse, et ma taille de guêpe, se tapir dans un meuble de 70 cm x 100 cm rempli à ras bord, tenait du contorsionnisme le plus extrême...

La maman du "chéri" est venue le récupérer et lui ordonna d'arrêter son manège; pour le calmer, elle lui ouvre une boite de "Cosar" de la viande de rats en boite...je salivais malgré moi,la langue plus active que jamais pour humer ce doux fumet, heureusement, les draps en éponge absorbaient mes noirs desseins...

Bon, je me décidais à quitter mon alcôve, car je savais qu'après la cuisine, la grosse allait venir faire une machine, et il valait mieux de ne pas tomber nez à nez avec elle, elle aurait été capable de m’assommer avec son rouleau à pâtisserie, je l'avais déjà vue courir derrière un gros bonhomme moustachu en le traitant de noms bizarres.

Sur ma route, je croisais un os en caoutchouc, il sentait bon l'os à moelle, je le gobais sans autre forme de procès, comme ça en continuant d'avancer en zig zag, puis le reste de la pâtée du chouchou qu'il n'avait pas fini ce fils de riche, il n'avait pas connu la guerre, moi non plus, mais je savais ce que c'était, réminiscence sans doute, d'une ancienne vie ...

J'avais  faim, faim, faim, faim, faim, faim, faim, faim !

J'étais tendue et en le contournant je mordais rageusement dans l'accoudoir du canapé en cuir de buffle, histoire de me donner un petit goût d'apéritif....berk! du tannage végétal, et du colorant rose, c'était dégueu.

J'entendis dans la salle de bains, la dodue chanter à tue-tête du fado, fallai vraiment avoir le mal du pays pour aimer ça, sinon on sautait directement par la fenêtre ! Elle revint avec un paquet de linge, sortit la table à repasser, et la déplia juste devant le canapé.

Elle me tournait le dos, je voyais ses mi-bas qui lui comprimaient les mollets, et ses grosses  cuisses grasses et flasques sous sa blouse bleue à fleurs, un peu courte pour son âge non ?

Cette chair qui s’agitait avec insolence sous mes yeux m’hypnotisait, je regardais à droite à gauche, à droite à gauche…oups ! Le clebs revint à la charge, il aboyait comme un dingue derrière le canapé, alors elle le prit dans ses bras, et l’enferma sur le balcon pour qu’il se calme, elle aurait bien aimé repasser tranquillement devant les feux de l’amour, quand même !

C’est ça, pendant qu’elle regardait le film je réfléchissais, comment allais-je pouvoir lui tomber dessus, il faudrait ruser.

 

 

 

 

 

8. Kera

 Ah ah ! Que je riais … j’avais enfin réussi à m‘extirper de ma piètre existence, et à faire la Une de tous les journaux du pays.

Combien d’années passées à me morfondre dans un bocal en verre, à manger des souris surgelées au goût insipide? Combien d'années à rêver de meurtres dans des forêts sombres et bruissantes ?

Jamais, je n’avais abdiqué, j’avais toujours espéré pouvoir prendre le contrôle un jour, et j’avais tout le temps de fomenter mes plans…beaucoup de temps...7 ans exactement. Je jeûnais souvent, je lorgnais sur la pauvre créature qui me prenait pour son toutou de salon, je la haïssais, elle et ses froufrous, ses talons et son parfum, qui me donnaient la nausée. Sa peau blanche et charnue me faisait saliver tous les matins, quand elle me caressait sur le canapé , j'essayais bien de timides attaques sur son bras, mais je devais attendre de grandir encore, pour attaquer le point le plus vulnérable, son tendre cou.

Alors j'attendais, je la regardais se gargariser devant des reportages montrant mes confrères dans des milieux que je supposais naturels et qui me fascinaient. Elle voulait me trouver un compagnon,sans blagues ! Moi qui suis une vraie misanthrope, jamais de la vie ! Et puis j'avais déjà un copain, Joe, le chat persan.  Je sifflais et ondulais de plaisir en pensant à mon futur festin.

 

7.

 Je me resservais un café, cette fois je devais y voir clair dans ce gloubi boulga aussi indigeste que les boyaux éventrés de la vouivre écarlate.

Récapitulatif : Nous étions sans nouvelles de Mercedes, Carlotta et Carmen…et peut-être d’animaux même pas encore recherchés.

Je regardais Facebook, mais la page de Carlotta n’avait pas bougé, je rappelais chez Mercedes qui décrocha ouf ! Il y avait du bruit autour d’elle, on aurait dit des crépitements d’huile de friture, elle débita un patois espagnol supersonique et je ne compris rien, ça raccrocha.

 On tambourinait à la porte, c’était Luis. Il était blanc comme un linge, il s’écroula dans mes bras en sanglotant. La police était venue chez lui pour des prélèvements, et c’était bien sa femme qui avait été engloutie vivante…il pleurait comme un bébé , il me disat que ce n'était pas possible, que ça faisait 3 ans que Carmen faisait le ménage ici, et qu’elle n’avait jamais eu trop peur du reptile bien gardé dans son terrarium, dans une pièce fermée, où elle ne se rendait jamais.

Alors quoi ? Luis ne voulait pas y croire, il voulait inspecter l’appartement, mais le labo avait fait un grand ménage, et il n’y avait plus grand-chose à voir.

6. Je me réveillais en sueur, secoué par Pepita, elle aussi recherchait Carmen , elles devaient faire de la couture ensemble ce matin, son mari avait appelé la police car elle n'était pas rentrée chez elle cette nuit...

Mais , mais...je n'avais pas le temps de réfléchir, mon portable vibrait, je devais me rendre au commissariat dans l'heure, ils avaient des choses graves à m'annoncer.

- "Asseyez- vous Monsieur, vous voulez un café ?"

- Euh...pourquoi tant d'attentions ? dites-moi tout de suite ce que vous savez je vous en prie!

- Bien, nous avons les premiers résultats du labo.

- Le rhésus ne correspond pas à un être humain .

Je regardais le policier sans doute las de sa nuit, comme moi de la mienne, avec un air ahuri d'un type qui venait d'alunir sur Mars...

- Il s'agirait d'une typologie sanguine canine. Et les poils ingérés, ainsi que les dents retrouvés dans le corps du boa le confirmaient.

 Votre amie avait-elle un chien ?

-Mais non! A part sur la plage arrière de ma Smart, nous n'avons jamais eu de tel animal !

- Pour le deuxième et troisième corps nous attendons les résultats définitifs, nous vous tenons au courant.

- Quel troisième corps ? Ce serpent a englouti combien de de de...personnes ou animaux au total ?

- Le labo pense 3 à 4 êtres vivants mais il y a aussi des déchets plastique ; donc rien n'est à exclure. La S P A est sur le coup, elle pense que l'animal était maltraité et qu'il a été obligé de dévorer ce qu'il a pu quand il en a eu l'occasion, je vous préviens ils sont très virulents ! Je vous conseille la sortie des artistes, car les journalistes sont déjà là. Au -revoir Monsieur.

Je filais comme un voleur, en m'imaginant mille choses...

Mais comment et surtout pourquoi Kera avait t-elle englouti tout ça ?

Je marchais dans la rue comme un zombie, la tête dans mes pensées, quand je manquais renverser Pierre, mon coiffeur .

- "Mais mon chéri quelle mine épouvantable tu te traines ! Passes au salon que je te refasse une beauté ! Ta belle-mère est morte c'est pas possible !

- Non Pierre, je t'expliquerai, mais là je ne peux vraiment pas..

- Pas de cachotteries, hein grand fou ! J'espère que tu ne me cocufies pas avec Ahmed et ses coupes à 10 balles !

- Mais non, je t'assure, allez va , je t'expliquerai , à tout bientôt, bises."

Mon téléphone vibra, je reçus un SMS de Mercedes, elle se plaignait que sa fille ne lui avait pas souhaité son anniversaire et que c'était sûrement moi qui l'en empêchait !

Je me retins de lui répondre, car je savais que je serais très méchant. Ce qui m'inquiètait c'est que Carlotta n'était pas du genre à oublier cette date inscrite en rouge dans son Filofax.

Encore un autre texto, cette fois c'était Julie, "Ok, j'ai transmis à Carlotta mais son téléphone semble hors de portée, dans la forêt amazonienne ça ne doit pas trop passer. Biz"

Ah oui, son reportage sur la déforestation.....

 

 

 

 

 

 

5.

De mieux en mieux, ils étaient vraiment doués ceux-là…ils voulaient peut-être me faire payer mon lapin de ce matin…je les appelais pour m’excuser et étais re-convoqué à la même heure demain matin, je ne devais pas quitter le territoire et tout le tralala …

J’appelais le labo qui n’était pas autorisé à me donner la moindre information, alors pendant ce temps-là, je fouillais dans les tiroirs de Carlotta à la recherche d’un indice…

D’abord cette  bague ?

Je ne l’avais jamais vue sur elle, mais il faut dire qu’elle avait tant de bijoux…ou alors une relique familiale ? J’ouvris toutes ses boites à fanfreluche, pleines d’échantillons de parfum, de boutons de nacre, de coquillages et mille autres souvenirs glanés de tous ses voyages et peut-être même d’amoureux éplorés…

Je regarde dans les armoires, les commodes, mais je n’y voyais rien d’autre que l’habituel fouillis où tout dégueulait de vêtements en tous genres…et son portable ? Sur messagerie encore une fois….

Mais comment être sûr avec elle, son emploi du temps était incompréhensible pour un bête salarié comme moi…Elle , Madame, était free-lance…libre comme le vent....Oui comme la marque de chaussures qu’elle affectionne quand elle se rend à une énième conférence de presse…alors que moi, réglé comme une horloge suisse, que pouvais-je comprendre à ses jet lags et autres burn out ?

Alors je pensais appeler son journal, mais je ne connaissais la Directrice que par son surnom : Diane chasseresse, alors hum, comment allais-je me présenter ?

Finalement je décrochais, en disant que j’aurais aimé proposer un sujet, mais que j'exigeais que ce soit Carlotta uniquement, qui s’en occupât.

La voix grave et snob de la Directrice, qui devait bien fumer ses deux à trois paquets par jour, me répondit :

-« Je m’en occuuuuupe, personnnnnnnnellement ! A très bientôt mon cher Monssssieur »

C’est cela oui !

Puis je me décidais à appeler sa mère, et là, c’est vraiment parce que je n’avais plus de cartes dans mon jeu. Mercedes et moi on ne s’était jamais beaucoup aimés, elle avait sûrement des projets plus grandioses pour sa petite fille…Et puis moi et les bagnoles allemandes voyantes, ce n’était pas mon trip.

Elle n’était pas chez elle, je ne laissais aucun message.

J’hésitais à appeler Julie la meilleure amie de Carlotta, car elle avait une fâcheuse tendance à me mettre mal à l’aise avec son décolleté vertigineux pour jeunes boutonneux.

J’envoyais donc un SMS.

Enfin, non, je me ravisais à temps, je n'allais pas lui dire que je cherchais ma copine quand même ! Surtout avec sa grande bouche, en moins d’une heure tout le quartier serait au courant et moi je risquais de passer pour le couillon de service.

Éclair de génie dans ma petite tête, je lui dirai ça :

«  Coucou Julie, je n’arrive pas à joindre Carlotta, j’ai besoin de ses clefs d'appartement, peux-tu lui transmettre le message si tu la vois ? Merci, biz. »

Une demi-heure après, je reçus un laconique « ok ».

J'étais bien avancé.

 

 

4.

Je me faisais chauffer de l'eau pour un double instantané, j'avais besoin d'un shoot de caféine pour y retourner...mais je n'avais plus le courage.

Tout à coup, toute la tension nerveuse accumulée ces deux derniers jours retomba, mes jambes se ramollissaient et je me laissais tomber sur une chaise, oups! Le formica c'était froid pour les fesses délicates !

Je sentis mes résolutions vaciller, et je me décidai à appeler les pompiers, je n'avais pas pleuré jusqu'à présent, mais quand le 18 décrocha, j'avais une grosse boule dans la gorge, et je dus répéter deux fois mon histoire, enfin pas la mienne , bref je m'embrouillais.

Trente minutes plus tard, j'entendis tambouriner virilement à la porte, et le premiers gars fut stupéfait de ce qu'il vit. Il m'ordonna d'attendre dans la pièce d'à côté, et là une jolie pompier qui devait être aussi infirmière ou aide psychologique me prit en charge, comme on dit pudiquement.

J'entendis indistinctement des voix et des ordres à côté, des meubles qu'on poussait, je me levais pour y aller, mais la main ferme de ma jolie psychologue m'en empêchât..

Elle me fit des tests pour voir si j'avais bien toute ma conscience, je me sentais tout groggy...mais quand cela allait-il s'arrêter?

La police arriva ensuite, et commença à m'interroger, mais je ne pus leur dire grand chose.

Je ne savais rien, ou presque. Je fus convoqué chez eux dès le lendemain 8h.

Je vis passer avec horreur de grands sacs plastique blancs, avec des tâches de sang au travers.

- " Ça part au labo" cria un jeune éphèbe casqué.

Ensuite, je ne me souvenais plus de rien, je ne me suis réveillé que le lendemain, avec une gueule de bois monumentale vers 10h, on avait dû me donner des anxiolytiques et j'ai dû sombrer dans une nuit peuplée de tronçonneuses, de chairs sanguinolentes, de bouches grandes comme des tunnels ...

Le téléphone sonna c'était Pepita, elle était soulagée de m'avoir au bout du fil, me raconta que la police l'avait contactée et l'avait interrogée sur mes relations avec Carlotta, j'étais devenu le suspect n° 1 dans l'histoire !

 

3.

Le téléphone sonna....c'était Luis . Il me demanda:

- "Chi tout va biene ?"

Car à ma voix d'outre-tombe on n'aurait pas dit.

Il me demanda de laisser une commission à sa femme, qu'il ne pourrait pas rentrer à midi car il était appelé d'urgence sur un autre chantier à l'autre bout de la ville, alors qu'elle ne s'inquiète pas, car s'il ne répondait pas sur son portable ce n'était pas qu'il avait une maitresse comme elle le soupçonnait, mais que sa véritable épouse le prenait plus sûrement que le meilleur ciment .

Bon , je balbutiais que oui je transmettrai, et je raccrochais.

Je transpirais...à grosses gouttes. Je m'épongeais le front avec ma chemise de nuit de l'hôpital, les fesses toujours à l'air... Devais-je appeler la police ? Que ferait t-elle de plus que moi ?

Je voulais en avoir le cœur net. Kera ne mangeait plus depuis des mois. Je me souviens que Carlotta m'en parlait d'un air soucieux , tandis que je m'absorbais devant le film du soir, faisant mine de ne pas l'entendre me chanter les louanges de son affreux serpent.Elle avait même consulté un vétérinaire je crois, qui avait diagnostiqué de l'anorexie.Ah Ah ! 200€ de consultation pour entendre de telles conneries !

Ah oui ! j'y étais !

En fait, Kera jeûnait, dans le simple but d'avaler sa maitresse...ça se tenait !

Mais quand même, Carlotta était vive et athlétique, elle n'aurait pas pu succomber à son étreinte mortelle ...Quoi que ? Quelles connaissances avais-je en herpétologie ? Aucune , sinon ma haine tenace pour cette créature de l'enfer.

 

 

2.

 

 

Oui, hélas, je me souviens, mais au même moment, je suis pris de nausées dont je vous épargne les ragoûtants détails.

Il fallait absolument retourner à l'appartement, je me levais d'un bond, Pepita avait une vue plongeante sur mon postérieur, qui parait-il est assez avantageux....

Je me couvrais pudiquement, et je lui intimais l'ordre de partir immédiatement, sans passer par la case accueil...

- "Mais,..Mais ...Tu ne peux pas partir, on attend les résultats des examens..."

- "Je m'en fous de ces analyses, je suis en pleine forme, enfin si on peut dire!

L'urgence c'est de rentrer."

J'enfilais ma veste sur ma charmante chemise de nuit, mon pantalon avait disparu, il ne me manquait plus qu'un bonnet sur la tête et on m'internait directement !

Bon, je restais aussi calme que possible, je pris un escalier de service, et un air détaché, Pepita à mes trousses, complètement affolée...

" Où est ta voiture ?"

" Je suis venue en bus..."

Oh non, il y a vraiment des journées qui mériteraient d'être rayées à jamais de notre calendrier interstellaire.

Du coup, je lui demandais si elle avait un peu d'argent et je hèlais le premier taxi qui me regardât d'un air suspect...

Allez hop! Pas de temps à perdre et l'argent n'a pas d'odeurs, si ?

J'arrachais le pansement de mon cathéter, et je donnais l'adresse au chauffeur, qui me lançât de discrets mais appuyés regards, dans le rétroviseur.

Comme si j'avais besoin de ça aujourd'hui !

Pepita me broyait la main, elle était complètement paniquée. Je lui dis qu'elle ne pourrait pas monter dans l'appartement pour le moment, car il était en travaux...

Elle semblait de plus en plus inquiète, et ne voulait pas me laisser seul dans mon état.

- "Mais quel état ? Tout va bien ! Malgré les apparences, tout va bien Pepita! Rentre chez toi et je t'appellerai en début de soirée ok ?"

Elle abdiqua devant mon air déterminé de mâle autoritaire, que je réussis à me donner.

Elle repartit avec le taxi et me laissa sur le trottoir, agita son mouchoir par la lunette arrière du taxi qui disparut au coin de la rue.

Je montais les escaliers 4 à 4 en priant que personne ne me vit dans cet accoutrement....

Ouf ! Il était midi 20, et à cette heure-là, la France entière était à table, je ne croisais donc personne. J'ouvris la porte, et je fus pris à la gorge par une odeur pestilentielle.

Je filais dans la chambre et ouvris tous les tiroirs, je trouvais une espèce d'écharpe en soie rose, que je mis directement sur ma bouche, et que j'attachais derrière ma tête.

Puis, à la cuisine je trouvais des gants de ménage, et cette fois, je ne reculerai pas.

Malgré mes hauts de cœur, je me décidais à reprendre là où j'avais laissé mon travail, dans les entrailles de l'animal. On aurait dit que le travail de putréfaction avait œuvré pour effacer toute trace me permettant d'identifier le dernier festin que Kéra s'était octroyée...

Je détournais la tête, et plongeait la main jusqu’au coude, oui, comme les inséminateurs, un métier que j'avais découvert avec horreur à la TV, car moi et la campagne, ça faisait deux vous l'aurez deviné.

Je sortis le ruban, en fait, c’était un bout de robe, ou de t-shirt, qui me rappelait un vague souvenir…

Puis, une poignée de poils noirs et drus et surtout un morceau de métal que je courus laver sous le robinet…

C’était une bague avec des initiales: " C.L."…

Je retournais aux cabinets, vomir ce qu’il me restait de bile, puis je refermais la porte du salon, jetai mes gants, et le foulard Dior à la poubelle. Je voulais enlever toute odeur de cette charpie bouillie qui puait plus qu’un abattoir des halles, par un jour caniculaire.

Je devais réfléchir vite, enfin si mes neurones voulaient bien se remettre en marche…

 

 

 

 

 

 

1.

« On sait toujours quand une histoire commence.

J’ai immédiatement compris que quelque chose se passait. Bien sûr, je ne pouvais imaginer tous les bouleversements à venir. Au tout début.. »

« Oh mon Dieu ! Mais quelle journée…et si j’étais resté couché ?

Ça avait commencé dès six heures avec le réveil qui s’était écrasé sur le sol, suite à mon aimable coupe de poing matinal, il a émis un dernier petit cri strident, comme pour me dire adieu et en même temps se venger pour toujours des coups reçus.

Ensuite, les yeux encore collés, et titubant jusqu’à la cafetière, je renversais le pot de café moulu sur le carrelage immaculé, j’en avais plein les pieds, il parait que c’est un excellent exfoliant naturel d’après Pierre, mon coiffeur…Tu parles Charles ! Euh non, Pierre …

Direction la douche…qui s’obstina à être froide, pour mon salut matinal…

C’est tout mon appartement qui semblait ne plus me supporter, qui se liguait contre moi, qui se vengeait de mes infidélités, dans le doux cocon qu’était celui de Carlotta.

Un joli petit nid rempli de plumes, de bougies, de rideaux de velours, de petits recoins charmants, de pâte d’amande dans de jolis bocaux….

Ne m’étais-je pas complètement loukoumisé à ce régime-là ?

Puis je suis parti au bureau, le pantalon en tire- bouchon, une chaussette bleue marine, et une autre noire, la cravate de travers, et comble du raffinement, les cheveux sur une même parallèle…

Et le tout sans barbe, non pas que je fus hostile aux « hipsters », mais voyez-vous, alors même que j'étais plus poilu qu’un orang-outang, nul poil ne s’aventurait  sur mon visage. Même les sourcils n’y étaient pas…j’avais dû, ô supplice, m’en faire tatouer de faux, ma foi, fort jolis…..bref, je m’égarais !

Je sautais donc dans ma vieille et fidèle Smart , direction le boulot…Où là, à part une engueulade matinale et quotidienne de mon bien-aimé chef, rapport à mon sens très personnel de la ponctualité, je n’ai rien fait d’autre que de rester vissé sur ma chaise à roulettes, les yeux rivés sur mon écran, tel l’hominidé vulgaris pectum citadinum…

Quand 18h ont enfin sonnées ma délivrance, je me suis dit que je ne pouvais plus continuer comme ça. Je suis rentré, bien décidé à tout envoyer promener, mon chef, ma mère et son chien, et mon coiffeur….

Combien de fois avais-je échafaudé  tous ces plans pour changer de vie ? Combien de fois n’avais-je pas dormi, la cervelle en ébullition ? Pour rêver ma vie, pour espérer qu’enfin quelque chose allait se passer, que j’allais me réveiller…

Comme d’habitude, j’attendais, passif, un changement qui ne viendrait que de l’extérieur, qui me sauverait de cette vie désespérément morne et vide…

Je décidais d’aller chez Carlotta pour lui annoncer mes envies : lui faire un bébé, des gâteaux, et acheter des châteaux en Espagne, avec la crise c'était le moment d'investir !……………..

J’étais plein d’entrain, quand j’ouvris la porte :

Je vis alors le chat étendu, langue pendante, le pot de marguerites renversé, une vague odeur de caoutchouc vanillé flottait dans l’air, et Kéra le boa s’était lovée sur le canapé à MA place, autant dire que le bras de fer entre elle et moi n’était pas fini.

Ce qui m’intrigua, c’est que le four était allumé, qu’un moule de silicone y laissait sa peau, et que Kera était anormalement grosse, mais je veux dire très, très, très, très, très grosse….

Est-ce qu’un rat seul, peut distendre un estomac reptilien ? Et si je lui donnais, dans mon immense bonté, une boite de charbon de Belloc avant qu’elle n’explosât ?

Mais ce n’était pas le moment de plaisanter, l’heure était grave, et si j’ouvrais la gueule du monstre ?

Ou si je l’éventrais d’un grand coup de couteau?  J’entendais de drôles de gargouillis ; malgré mon dégoût, je me pinçai le nez, je filais en cuisine et ne trouvais qu'un couteau à pain, alors, d’un coup sec, j'éventrais la traitresse.

A travers les boyaux dégoulinants, j’aperçus un morceau de chair bouillie, avec un petit tissu rouge à pois blancs…

 

Je me réveillai la tête dans le seau , la main calleuse de PEPITA me caressait la joue,

-« Tu es vivant mon petit ! »

Je crois que oui, j’essayais de bouger un orteil, mes paupières refusaient de s’ouvrir, j’avais les yeux tout collés….Mais bon sang où étais-je ?

- A la clinique OBREDA mon chou…

- Oh non !

- Tu as fait un malaise a dit le docteur. Tu te souviens ?"

 

 

 

 

 

 

 

Rédigé par Céline H.

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M
Et voila il va falloir attendre que les neurones s activent ;).....et ce sont les initiales de qui mystere ;)
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